Plus de 100 ans d’histoire au cœur de notre communauté
Voici quelques textes sur les gens et les événements qui ont marqué l’histoire de notre Collège.
Alphonso Alonzo Wright, fils de Tibérius Wright et de Loïs Ricker, naît aux Chaudières (Hull) le 28 février 1825. À la mort de son père, il devient héritier de nombreuses propriétés à Hull, à Aylmer de même que d’un vaste domaine sur la rive est de la Gatineau, future propriété du Collège Saint-Alexandre.
Par suite de difficultés financières, les Farmer … (ils avaient loué la seconde ferme de Tibérius, sise du côté est de la Gatineau, près des rapides qui portent leur nom…) doivent remettre le tout entre les mains d’Alonzo en 1843.
Vers 1850, Alonzo Wright épouse Mary Sparks, fille aînée de Nicholas Sparks, qui lui apporte une dot considérable. Dix ans après, le couple s’installe sur la rive gauche de la Gatineau en face des premiers rapides.
C’est en 1862, sous l’Union, qu’Alonzo Wright, lui, le gentleman farmer devient député du comté d’Ottawa. Couple sans enfants, les Wright mènent au château une vie opulente et paisible. Les loisirs que procurent à Alonzo Wright sa charge de député, ses ambitions et son argent vont à son domaine de 2000 acres. De ce domaine il cherche à faire une sorte de petit paradis terrestre pour y accueillir ses nombreux amis. Il plante quantité d’arbres. Plusieurs ornent encore aujourd’hui les abords du Collège, aux essences les plus variées : sapin douglas, épinette bleue, tilleul, saule pleureur du Canada, cèdre doré, peuplier de Lombardie, magnolia, robinier, etc…
La popularité d’Alonzo Wright est grande et du meilleur aloi. En 1881, ses collègues du Parlement lui présentent une adresse fort élogieuse signée par chacun d’eux, y compris le célèbre curé A. Labelle, prêtre colonisateur.
Les banquets offerts par Alonzo Wright sont restés célèbres dans l’histoire de la vallée de la Gatineau. Ce sont des « festins royaux ». De grandes tables bien garnies de viandes et de boissons sont dressées en plein air devant la maison. L’entrée de la propriété est alors libre et les portes du château grandes ouvertes. Wright organise de temps en temps de véritables pique-nique sur sa propriété. La belle société de Hull et d’Ottawa remonte la Gatineau jusqu’à Sand Point, plage de sable en aval du pont actuel.
Les paysans des deux rives ne manquent pas le spectacle. Au château on s’amuse bien.
Alonzo Wright se retire sur ses terres en 1891. Il meurt le 6 janvier 1894 et est inhumé au cimetière Beechwood à Ottawa. Terrassée le 28 février 1904 sa femme va le rejoindre dans l’enclos de granit noir qui ceinture leur monument commun.
Il aime ses arbres jalousement et interdit d’en couper une seule branche sans sa permission. Il n’aurait jamais osé « entailler » ses érables de peur de leur faire tort. Accompagné de ses deux énormes Saint-Bernard, il adore se promener à pied dans la forêt.
Mais encore plus que ses arbres, ses chevaux le passionnent. Il en fait l’élevage et c’est là un de ses passe-temps favoris. Ses écuries sont pleines de magnifiques bêtes dont plusieurs ne connurent jamais la selle ou le harnais. C’est dans un carrosse traîné par un attelage impeccable qui fait son orgueil qu’il se rend à la ville. Le député commande ses coursiers selon son caprice, car il en a des rouges, des noirs, des pies, etc. Et son fidèle cocher, David Rolland, sait les conduire au gré du maître.
Avec ses domestiques il entretient des relations suivies. Mais jaloux de son autorité, il se montre très exigeant à leur égard. Il dirige lui-même les travaux de la ferme et en cas de manquements graves à ses ordres, le coupable est menacé de prison. S’il n’autorise point les ouvriers à circuler dans les jardins ou le bosquet, à plus forte raison interdit-il aux voitures de la ferme de passer devant sa maison.
Quand il se sent de belle humeur, c’est-à-dire quand ses affaires prospèrent, surtout celles du comté qu’il représente, il condescend volontiers, au cours de ses promenades à travers champs, à causer avec ses employés. Mais il ne supporte pas qu’on garde la pipe à la bouche en sa présence et encore moins le chapeau sur la tête.
Tous ses gens, dont plusieurs passèrent de nombreuses années à son service, l’aiment, le respectent et le reconnaissent comme un homme avenant, d’un extérieur parfait et foncièrement honnête.
Mme Mary Sparks-Wright
Tous ceux qui l’ont connue s’accordent à voir en elle une belle et grande dame, bonne et charitable, une providence pour les pauvres. Elle veille aux serres et vaque à la culture des fleurs. Toujours prête à tirer quelqu’un d’un mauvais pas, on lui connaît de nombreux protégés. Une Irlandaise en particulier, Mrs Devine, profita de la générosité de Madame Wright : elle habitait même une maison sise sur la propriété Wright, près des rapides Farmer, au sommet de la côte menant vers Cantley. La maison de l’Irlandaise restera longtemps célèbre, car y habitait aussi avec la mère une trop jolie fille du nom de Katty, sans compter qu’on y vendait de l’alcool distillé sur place.
L’homme public et le député
Alonzo Wright est élu pour la première fois à la Législature du Bas-Canada, dans le comté d’Ottawa, en 1862. Après l’Union, élu par acclamation, il retourne aux Communes et, lors de l’élection générale suivante, il est réélu par une majorité de 1624 voix. (Il devait garder son siège jusqu’en 1891). Colonel de la Milice, il est aussi Président de la Société d’agriculture du comté et directeur de la même société à Ottawa.
« En politique libéral-conservateur, mais ses idées larges lui ont gagné l’estime des rouges, des bleus, des “grits” et des “Tories” ». M. Wright ne doit pas sa popularité à la politique, mais plutôt à ses éminentes qualités d’esprit et de cSur. Sa rare intelligence le ferait briller aux premiers rangs si sa modestie n’était pas égale à son mérite. Il aime applaudir aux succès des autres au lieu de cueillir des applaudissements pour son propre compte. Lorsqu’il prend la parole à la Chambre, il est très écouté. Parfaitement renseigné sur toutes les questions, très instruit, il relève l’aridité de son sujet par le piquant de ses observations ».
« Le comté d’Ottawa, grand comme un royaume, l’entoure de son affection. Il la lui doit, car il n’est pas seulement le représentant de ce comté, il en est surtout le bienfaiteur ».
Après 28 années de politique active, Alonzo Wright se retire sur ses terres en 1891. La maladie qui le minait déjà devait l’emporter le 6 janvier 1894. Après des funérailles dignes de son rang, ses nombreux amis l’escortent jusqu’au cimetière de Beechwood à Ottawa.
Madame Wright elle-même, légèrement souffrante à l’époque, assume la direction du domaine et avec l’aide de son gérant, M. Nun, continue de cultiver la ferme. Elle se réserve personnellement le soin des jardins qui prennent une magnificence encore jamais égalée. À l’eau du puits devenue insuffisante pour l’arrosage vient s’ajouter l’eau de la rivière montée par une pompe à vapeur dans un réservoir enfoui sous la colline voisine et revenant au château par gravité. Mais avec les années, un embonpoint excessif rend Mme Wright totalement impotente et la terrasse finalement le 28 février 1904. Elle va rejoindre son mari à Beechwood, partageant avec lui l’enclos de granit noir qui ceinture leur monument commun.
M. Wright était venu s’installer sur les bords de la Gatineau pour y jouir du calme nécessaire à la réflexion et au mûrissement des solutions aux nombreux problèmes de son comté, pour y refaire ses forces au contact de la nature après les longues séances du Parlement ou les harassantes heures de bureau en ville. Il serait heureux de voir que sa propriété, devenue le collège Saint-Alexandre, a permis à des milliers de jeunes gens d’imiter son geste depuis cinquante ans. C’est ainsi que ce petit coin de terre les aura aidés à devenir des émules du député Alonzo Wright, de bons et valeureux citoyens.
Né le 19 janvier 1854 de parents Normands, fermiers, Alexandre fait ses études secondaires à l’Abbaye-Blanche de Mortain (Normandie). Il poursuit des études en philosophie au Séminaire du diocèse de Coutances (Normandie). À la fin de cette étape, son évêque lui donne, non sans mal, la permission d’entrer dans la Congrégation des Spiritains. Il y fait de bonnes études théologiques à Langonet (Bretagne). Ordonné prêtre à l’âge de 22 ans, en 1876, il est orienté, malgré son grand désir de vivre la mission à l’étranger, vers l’enseignement : Collège Saint-Denis (La Réunion), Collège de Cellule (France) et Pondichéry (Inde).
En 1881, il connaît la joie de se rendre en Afrique pour quelques années. D’abord à Bagamayo (Afrique de l’Est) où il explore le territoire en vue de localiser les endroits propices à l’établissement de futures missions. Il en profite pour rassembler des données, aptes à lui fournir la matière nécessaire pour écrire quelques livres et articles de revues fort appréciés en Europe. Ses ouvrages portent sur des sujets, entre autres, d’ethnologie, de sociologie religieuse… Son talent de dessinateur lui permet de les illustrer lui-même. Son succès fut immédiat et durable. Vers les années 1890 il est nommé Vicaire apostolique des Deux Guinées et du Gabon. Il est élu supérieur général des Spiritains en 1896 et demeurera 30 ans au service de la Congrégation du Saint-Esprit. Il est décédé 21 avril 1938.
En 1904, il envoie le P. Amet Limbour au Canada avec mission de trouver un domaine propre à l’établissement d’une École d’agriculture, destinée à recevoir, à former et à guider les jeunes Français qui désirent s’établir au Canada. C’est en sa mémoire que le P. Limbour nommera la nouvelle propriété SAINT-ALEXANDRE. Sur ce point, le P. Limbour sera suivi de ses successeurs qui donneront ce même nom au Collège (en 1914), à la paroisse (en 1946) et à une rue dans le développement domiciliaire de Ferme Limbour.
Pour Amicie Lebaudy, l’argent rentrait par toutes les portes, les millions de la bourse que ramassait Jules ainsi que les revenus très substantiels qui émanaient de la raffinerie de sucre Lebaudy. Elle aurait pu mener une vie de pacha mais elle y renonça pour se contenter d’une vie de paria et se glisser au rang de l’anonymat. Déjà, elle s’était coupée de son mari qu’elle en était venue à détester à cause d’abord de son matérialisme honteux. Elle avait aussi perdu un par un ses quatre enfants – ses trois gars surtout, bâtis du même bois que leur père, n’étaient pas rééducables, selon elle. Spirituellement, elle était devenue des siens si différente que Jules dira un jour Mme Lebaudy préfère le Christ à ses enfants et la vie éternelle à la vie terrestre.
Avec son arrière-goût royaliste, Amicie condamnait le gouvernement républicain de son temps qu’elle trouvait pervers et pourri jusqu’à investir de grosses sommes pour appuyer les derniers sauveurs de la Patrie française. Mais, devant ses insuccès en politique, elle résolut de mettre l’accent sur des actions charitables qui ont accaparé le meilleur de sa fortune. Fidèle à sa discrétion et pour sauvegarder un anonymat tout à fait dans la ligne évangélique elle institua la Fondation Amicie-Lebaudy qui devra travailler incognito, complètement anonyme, jusqu’à sa mort. Combien d’argent investi là, Dieu seul le sait.
Dans la même mentalité qui au fond émanait d’une humilité authentique elle s’est mise à supporter le GMO de ses millions. Tout le monde connaissait le GMO, le Groupe des Maisons Ouvrières, nos HLM modernes, et tout le monde se surprenait à constater qu’il y avait tant de millions disponibles sans en connaître la source : la pourvoyeuse, c’était Amicie Lebaudy. De fait, Amicie obéissait à une triple poussée intérieure. D’abord, expier pour l’escroquerie de son mari dans la faillite de l’Union générale qui avait ruiné tant de petites gens. Secundo, assouvir sa soif d’éduquer ses semblables, d’autant plus que l’éducation de ses 4 enfants lui était apparue comme un fiasco. Tertio, une poussée de charité vraie qui meublait ses loisirs et l’empêchait de glisser dans les mondanités qu’elle avait toujours abhorrées.
En plus de charités discrètes dont on ne pourra jamais faire la narration. Véritable, elle a accompagné au Canada Mgr Alexandre Le Roy, supérieur général spiritain, qui lui a fait ouvrir bien grand son portefeuille pour la fondation du collège St-Alexandre de Gatineau, en 1905. Pour nous c’est plus que de la petite histoire, c’est notre naissance.
Mme Jules Lebaudy est bienfaitrice insigne du Collège St-Alexandre. Cette femme dont on n’a pas réussi à percer le mystère fut d’une générosité difficilement imaginable. Décédée le 3 mai 1917, Le Progrès, dans son Billet parisien, écrivait de Mme Amicie Lebaudy :
Monsieur Lebaudy l’avait laissée veuve de bonne heure, avec une immense fortune acquise dans des spéculations qui avaient ruiné bien des gens. L’argent ne la grisa pas, mais l’effraya. Elle prit un nom d’emprunt et s’en alla vivre dans un coin de banlieue dans un petit logement, où elle cachait sa personnalité, servie par une seule femme de ménage. Très croyante, très pratiquante, elle donnait beaucoup, paraît-il [1]
Paraît-il… ce paraît-il signifie que le journaliste ne croit pas trop à ces charités de Mme Lebaudy et c’est bien compréhensible puisque par tous les moyens elle avait cherché l’anonymat. Nous avons-là une synthèse de la vie mouvementée de Mme Lebaudy qui s’était donné comme mission de réparer les injustices de son mari comme les fautes de ses enfants. Plusieurs témoins l’ont pris pour une sainte et je suis tenté de les croire. Voici quelques exemples de cette générosité qui m’apparaît vraiment chrétienne.
L’avarice de son mari l’a toujours heurtée. Cette avarice, à maintes reprises, fut vérifiée par elle et c’est cette même avarice qui avait fait de Jules Lebaudy un escroc public quand il avait joué de tout son talent de financier pour aggraver le crash de l’Union générale en 1882 et empocher l’argent par millions sur le dos des petits épargnants qui s’étaient bêtement débarrassés de leurs actions. C’est ainsi que la bourse devient immorale et Dieu sait si Jules a su y bien jouer sans que sa conscience n’en fût affectée, semble-t-il.
Mme Lebaudy n’a jamais pu digérer ce massacre des innocents par son mari et sa conscience sera meurtrie à mort alors que Jules Lebaudy s’enivrera des quelque deux cents millions accumulés d’un seul coup. L’avarice va perdre mon mari, pensait-elle, d’autant qu’il a perdu toute conscience : elle l’avait entendu dire un jour à son fils Max, en exhibant une pièce d’or :
Regarde, voici le dieu unique auquel on doit tout sacrifier !
Tout le reste n’est que plaisanterie ! [2]
[1] 1 Troyat Henri, Les turbulences d’une grande famille, p. 255 Éd. France Loisirs, 1999
[2] 2 Troyat, Henri, op. cit. p. 29
Comment Mgr LeRoy est arrivé à lancer le P. Amet Limbour sur des chemins « canadiens », à la recherche d’une grande propriété « terrienne ». (cf « Mes Souvenirs », 1934)
Avant de lui donner la parole sur ce sujet, un court rappel historique, situant le contexte de cette décision, paraît utile. Au tournant du siècle, vers 1900, une loi française du Conseil d’État (loi Combes), dite « loi des Associations », est promulguée sous une poussée notoire d’anticléricalisme. À cette loi devaient se soumettre les Instituts religieux, autrement ils étaient abolis. Suite à cette proclamation, les Spiritains se sont vus obligés de fermer 12 de leurs établissements, dont la plupart étaient orientés vers l’actualisation de leur mission apostolique (14 février 1901). Ils connurent tous, cependant, une fin heureuse ; ce qui faisait dire à Mgr LeRoy : « En résumé, une providentielle solution a été donnée à cette affaire… »
Cependant, « restait à trouver », affirmera-t-il, « l’emploi des 300 membres de la Congrégation des maisons supprimées. » Qu’en faire ? En un temps relativement court, ils furent dispersés dans nos oeuvres d’Europe, d’Afrique et d’Amérique sans qu’aucun eut la simple pensée d’opposer une parole de résistance. Et, à cette occasion je reçus avec une intime satisfaction pour notre bon esprit, cet aveu d’un Père franciscain : « Passer d’une Province dans une autre avec une pareille facilité, jamais nous ne l’aurions obtenu chez nous ! »…
Il me restait encore un certain nombre d’entre eux de disponibles.
Je vis Mme Lebaudy : « Vous m’aviez confié, lui dis-je, que vous aimeriez fonder une oeuvre au Canada pour y recevoir et acclimater les jeunes qui désireraient aller s’y établir et y avoir une liberté qu’on ne trouve plus en France. Eh ! Bien, j’ai maintenant le personnel nécessaire et je le mets volontiers à votre disposition ».
« Parfait, me répondit-elle, trouvez-moi une belle propriété pour y établir une grande École d’agriculture ».
Nous avions alors le Père Limbour, en voyage aux États-unis. Je lui dis de passer au Canada et d’y chercher une belle propriété à vendre en lui disant que j’étais en mesure d’acheter ce qu’il trouverait de plus beau, grâce à une tante éloignée qui mettait à ma disposition tout l’argent nécessaire. Peu de temps après, le P. Limbour me fit parvenir deux rapports.
Mme Lebaudy se détermina pour un magnifique domaine situé près d’Ottawa, sur la Gatineau. C’était cher : 100,000 dollars.
La tante « éloignée » en donna 200,000 (un million de francs), pour la propriété Wright et les constructions nécessaires. Et c’est ainsi qu’est né Saint-Alexandre de la Gatineau, domaine immense, couvert en partie de belle forêt de pins et d’érables, et qui, plus tard, pourra être loti et vendu.
« En résumé, Combes et ses complices pensaient nous faire beaucoup de mal ; ils nous ont fait beaucoup de bien. Ainsi, la Congrégation, supprimée pendant six mois, a été finalement et définitivement reconnue par un acte positif du Conseil d’État ».
« Le Château Alonzo Wright »
1821
Alonzo Wright est le petit-fils d’Abigail Wyman et de Philémon Wright, fondateur de la ville de Hull, en 1800 ; fils de Lois Ricker et de Tibérius Wright, Alonzo est né le 28 février 1821. Il hérite de la propriété, sise sur les bords de la rivière Gatineau, à la mort de son père, Tibérius Wright. Au début de l’année 1850, il épouse Mary Sparks, fille d’un riche notable de la ville d’Ottawa. Elle lui apporte une jolie dot qui sert à ériger ce que l’on appela alors « Le Château Alonzo Wright ». Le titre de « Roi de la Gatineau » lui est surtout attribué en raison du rôle historique de sa famille et de son propre succès en politique et non à cause du pouvoir qu’il exerce dans son royaume de la Gatineau.
Député du comté de Gatineau en 1863, il représente ses citoyens pendant plusieurs années, à l’Assemblée législative, à Québec, puis à Ottawa. Il termine ensuite sa carrière à la Chambre des Communes, en 1891. Au sommet de sa carrière, Alonzo Wright était connu comme « Le Roi de la Gatineau ». Il décède le 7 janvier 1894 et son épouse, Mary, en 1904, sans laisser de descendance. Le 21 janvier 1905, les Pères du Saint-Esprit, devant Me Tétreau, notaire à Hull, acquièrent le domaine d’Alonzo Wright. Le Château Alonzo Wright sera le berceau du Collège Saint-Alexandre et la résidence des Religieuses des Sacrés-Coeurs (1913 à 1991) qui assurent pour les élèves « pensionnaires » le services de cuisine, de buanderie et d’infirmerie.
Que faire de cette maison historique ?
Au coeur du berceau du Collège St-Alexandre de la Gatineau, l’ancien « Château Alonzo Wright » devient libre en l’année 1991. Considéré comme un lieu historique, la CCN (Commission de la Capitale Nationale) en fait un arrêt obligé dans son itinéraire des visites touristiques pendant quelques années. Les étages supérieurs ouvrent leurs portes à des jeunes, désireux de vivre une expérience de vie communautaire ( La Communauté Laval/ nov. 1978 – fév. 1983). Lors de la cession du Collège par les Spiritains en juillet 1991, ceux-ci se sont réservés l’usage de ses locaux pour des projets particuliers, harmonisés à leur « mission » et aux préoccupations sociales du C.S.A. C’est alors qu’un Comité de bénévoles s’est mis sur pied pour lancer une vaste enquête sur les besoins sociaux de la région qui ne seraient répondus par aucun organisme communautaire.
Une priorité facile à constater
La priorité est apparue criante pour un organisme qui pourrait offrir des services d’accompagnement psychologique aux personnes qui n’ont pas les ressources financières, ou d’assurances pour se prévaloir de ces services auprès de bureaux privés et qui ne sont pas desservies par le réseau public.
Grâce au bénévolat d’administrateurs et de professionnels, le projet prend forme au cours de l’année 1993 et la Maison Alonzo Wright ouvre ses portes en 1994. Elle obtient ses lettres patentes du Québec, le 6 janvier 1995. Organisme sans but lucratif, la maison est également accréditée comme organisme enregistré de bienfaisance auprès de Revenu Canada.
Un lieu unique et essentiel dans l’Outaouais
La mission de la Maison a comme premier objectif général d’accueillir toute personne qui a besoin de soutien, en recherche de sens, d’épanouissement ou de cheminement, dans le respect et la confidentialité, sans distinction d’origine, de croyance ou de situation financière. Grâce au bénévolat et au soutien financier de nos donateurs, la Maison peut encore réaliser cet objectif. En plus du service de psychothérapie, la Maison offre également des services tels que des ateliers, conférences.
Ainsi, du 1 avril 1999 au 31 mars 2000, la Maison a offert 1014 accompagnements à des personnes qui avaient besoin d’aide dans leur chemin de vie. Nous constatons que les demandes d’accompagnement ont augmenté au cours de la présente année. D’autre part, la moyenne générale des sommes reçues des usagers a légèrement diminué. Ce qui signifie, pour nous et pour la région, plus de personnes en santé psychologique fragile et de plus en plus pauvres. Ses services, depuis quelques années, sont sollicités plus fréquemment et semblent répondre à des besoins importants de la population outaouaise
La clientèle
Nos clients, individus ou couples, viennent du triangle Aylmer-Buckingham-Cantley, dont 40% d’entre eux de Gatineau, 38% de Hull, 6% d’Aylmer et 16% des autres villes du triangle. 91% de nos clients sont âgés de 18 et 50 ans. Ils nous sont référés par le Centre 24/7 le CLSC, quelques médecins ou des personnes qui ont déjà bénéficié de nos services.
Notre service d’aide est offert pour des problématiques individuelles telles que : anxiété et stress, deuil non-résolu, dépression ou danger de « burn out », séparation à vivre, manque de confiance en soi, besoin de retrouver du sens à la vie, difficultés sexuelles, abus verbal, violence, problèmes relationnels ; des problématiques de couple telles que : difficultés de communication conjugale, difficultés sexuelles, nécessité d’apprendre à vivre avec un conjoint handicapé ou dans une famille reconstituée, ou de reprendre la vie commune après une séparation.
La Maison propose une approche qui englobe toutes les dimensions de la personne : physique, psychologique, sociale et spirituelle. Par l’accompagnement de personnes souvent en détresse, elle offre un moyen de prévention en santé mentale. C’est ce qui justifie sa participation comme membre du Regroupement des organismes communautaires en santé mentale de l’Outaouais. (RocsmO)
La Maison Alonzo Wright semble encore aujourd’hui l’unique organisme communautaire dans la région, à offrir un service d’accompagnement de qualité et à la portée des plus démunis. Ce qui en fait ainsi un lieu essentiel dans la région.
Le Droit. 18 avril 2003
Avril 1903. En France. La Semaine sainte. Par dizaines et par dizaines, des maisons mères de congrégations religieuses reçoivent des avis du gouvernement : elles ont 15 jours pour fermer et les religieux doivent se disperser. Pourquoi ? Parce que le gouvernement d’Émile Combes a fait rejeter par la Chambre leur demande d’autorisation, requise par la loi du 1er juillet 1901. Grave débat de société. De fait, les républicains craignaient l’envahissement clérical, particulièrement du fait de l’enseignement congréganiste. Waldeck-Rousseau, qui avait fait adopter la loi de 1901, avait parlé des « deux jeunesses », sans oublier la richesse des congrégations, qu’il estimait à un milliard (les vérifications des historiens ont avéré ce chiffre). C’est une puissance sociale qu’on voulait contrôler.
Combes fait donc rejeter en bloc les demandes d’autorisation et les congrégations non autorisées doivent se disperser. C’est surtout à l’enseignement qu’on s’attaque : l’année suivante, une loi du 7 juillet 1904 viendra carrément interdire l’enseignement congréganiste, ce qui touchera, par exemple, les Frères des écoles chrétiennes, qui étaient autorisés et qui enverront dès lors au Québec, cette année-là, 175 de leurs membres.
Car cette politique anticléricale, anticongréganiste, aura beaucoup de conséquences pour le Québec. Les religieux français, les enseignants surtout, n’avaient plus que le choix suivant : ou se séculariser (quitter officiellement leur habit et la congrégation, tout en continuant à être religieux) ou quitter la France, pour poursuivre leur vocation sous des cieux plus cléments. A cause de son caractère catholique et français, le Québec fut naturellement une des destinations favorites. Les évêques les accueillirent à bras ouverts (pas tous, cependant), et mirent tout en oeuvre pour que les évênements de 1903 ne se reproduisent pas au Canada. Écoutons par exemple Mgr Bégin, archevêque de Québec, en 1904 : Je redoute pour notre Canada l’invasion des mêmes idées pernicieuses et des mêmes vices qui ruinent notre ancienne mère patrie… Le clergé a besoin … de sainteté, s’il veut que le peuple Canadien, encore si bon, si religieux, ne se laisse pas entrainer peu à peu sur la même pente fatale et vers les mêmes abîmes que le peuple français.
Entre 1902 et 1904, 14 nouvelles congrégations françaises s’implantèrent au Québec, sur tout le territoire. Huit autres s’ajoutèrent entre 1905 et 1914, souvent à la suite des mêmes évènements. Le nombre de religieux venus au Québec à cette occasion fut considérable. Les congrégations déjà implantées ici (Frères de l’instruction chrétienne, Maristes, Filles de la Sagesse, par exemple) en accueillirent beaucoup. Même, les Franciscains démnagèrent le siège de leur province de France au Canada. En tout, le Québec accueillit 686 religieux français en 1903 et 411 en 1904, la majorité (566) des frères enseignants. Au total, ce sont 2007 religieuses et religieux français qui s’établirent au Québec entre 1900 et 1914.
On les retrouve partout dans la province, où ils firent leur marque. Il en vint plusieurs dans la région outaouaise. D’abord, à Ottawa-Est, le supérieur du Scolasticat des Oblats, le père Duvic, fait venir les Soeurs du Sacré-Coeur de Saint-Jacut, nom qui fit bien rire à lépoque. Puis, en 1905, les Pères du Saint-Esprit établissent un Institut colonial sur la Gatineau : il deviendra en 1912 le Collège Saint-Alexandre, en l’honneur du fondateur, Alexandre Le Roy. L’année suivante, ces pères font venir des Soeurs des Sacrés-Coeurs de Mormaison, en Vendée, pour s’occuper de l’entretien ménager. Comme les Soeurs de Saint-Jacut, elles reprendront vite leur vocation d’enseignantes. Enfin, en 1910, les Visitandines ouvrent un monastère à Ottawa, sur Richmond Road : elles y propageront la dévotion à saint François de Sales et sainte Jeanne de Chantal, très vénérée à leur monastère d’origine d’Annecy.
Que reste-t-il de tout cela aujourd’hui ? Ces évènements sont bien oubliés, la plupart des congrégations ne se recrutent plus, les religieux et religieuses qui restent ont une action qui paraît beaucoup plus individuelle que collective, à quelques exceptions près. Mais il faut savoir garder mémoire, pour comprendre d’où nous venons…
Guy Laperrière
(L’auteur est professeur d’histoire à l’Université de Sherbrooke)
Le très honorable Paul Joseph James Martin, CP, CC, souvent connu sous le nom de Paul Martin, père (né le 23 juin 1903 et mort le 14 septembre 1992) était un homme politique canadien éminent.
Né d’une famille franco-ontarienne à Ottawa, en Ontario, il fut par la suite élevé à Pembroke, en Ontario (dans la vallée des Outaouais). Il fit ses études secondaires au Collège St-Alexandre à Gatineau, Québec ; il compléta son éducation universitaire à l’Université de Toronto. Martin pratiqua ensuite le droit à Windsor, en Ontario. Membre du Parti libéral du Canada, il fut d’abord élu à la Chambre des communes du Canada en 1935 et fit son entrée au cabinet en 1945. Il servit comme ministre notoire dans les cabinets de quatre premiers ministres : William Lyon Mackenzie King, Louis St. Laurent, Lester B. Pearson et Pierre Trudeau.
Martin était vu comme un des membres les plus à gauche du cabinet libéral, et en tant que ministre de la santé nationale et du bien-être social de 1946 à 1957, il joua un rôle important dans le combat contre le polio, et dans la création d’une assurance-hôpital au Canada ; il est parfois reconnu comme le père du système de santé canadien. Martin fut sécretaire d’état pour les affaires externes dans le gouvernement Pearson.
Il se porta candidat à la direction du Parti libéral trois fois : en 1948, en 1958 et en 1968, mais il essuya une défaite les trois fois : la première fois par Louis St. Laurent, puis par Lester B. Pearson, enfin par Pierre Elliott Trudeau. Trudeau le nomma au Sénat en 1968. Il fut chef du gouvernement au Sénat jusqu’en 1974, quand il fut nommé haut commissaire au Royaume-Uni. En 1976 il fut fait compagnon de l’Ordre du Canada. Il fut aussi chancelier de l’Université Wilfrid Laurier de 1972 à 1977 ; l’université donna son nom au Centre Paul Martin en son honneur.
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par Jean-François Pelletier (1931-1939)
Si j’ai opté pour Saint-Alexandre en 1931 à mes douze ans, c’est beaucoup parce que mon frère Paul dut y aller faire ses rhéto et philo. Tous deux pensionnaires, bien sûr, lui chez les « grands » et moi chez les « petits ». Du reste, mes années de pensionnat ne virent, en tout et pour tout, que trois externes à savoir les fils de Son Excellence Raymond Brugère, ambassadeur de France : Jacques l’énigmatique, Daniel le dandy studieux, puis ce cher Alain déjà gueulard et gavroche. Comment oublier l’impressionnante limousine paternelle, d’allure quelque peu plénipotentiaire, qui venait déposer le matin et reprendre le soir les trois élèves Brugère qui toujours conservèrent, du Collège et du Québec, un souvenir chaleureux voire ému. Je m’en suis bien rendu compte lors d’un voyage à Paris en 1978.
S’ennuyer au collège me paraît aberrant. Certes, j’eus quelques vifs désagréments aux mains des Mamie, Grosse et LeBourrhis mais, dans l’ensemble, Saint-Alexandre m’apporta huit années de bonheur quasi ininterrompu. J’y aimais tout. D’abord, sa gaie façade en briques rouges et blanches, flanquée d’ailes imposantes et coiffée d’un joli clocheton où trône, bavarde, son horloge quadriface qui nous carillonnait l’heure, la demie et les quarts, annonçant ainsi les grands moments de la journée – prière, étude, repas et jeu. Des annexes et dépendances, j’ai surtout retenu le charmant profil vieillot du pavillon des soeurs des Sacrés-Coeurs (lieu tabou entre tous !), l’historique demeure du petit fils du fondateur de Hull, un certain Alonzo Wright.
Pensez donc ! un collège en pleine forêt laurentienne qu’on avait dû éclaircir, bien sûr, ici pour aménager terrains de jeu et allées de promenade, là pour accommoder les champs et communs d’une « vraie ferme » avec, au bout là-bas, la sympathéque menuiserie du vieux M. Lutz à la grosse moustache. Mais ce que les boisés alexandrins recelaient de plus alléchant, c’était sans doute l’énorme érablière où chaque printemps nous allions trimer dur, à tour de classe, pour « faire les sucres » d’abord mais pour ensuite s’en repaître à en crever… Une lichette de tire chaude sur neige, quel délice ! Brûle-gueule branlant au bec, le frère Jean (grand maître des fourneaux) en souriait d’aise de sa bonne bouille édentée, tout en surveillant d’un oeil connaisseur la riche sève aux vapeurs parfumées. Effectivement légendaire par sa qualité qui faisait accourir toute la région outaouaise, y compris les experts du Conseil national de recherches, notre sirop d’érable devait beaucoup de son goût et de sa technique, curieusement, à la France et à la Hollande transplantées ici dans les personnes du frère Jean et du frère Chrysostome au doux visage.
En bordure de cet insolite complexe collégial coulait la bondissante Gatineau qui, en route vers Hull, caressait au passage notre grande île Sainte-Marguerite reliée à la route par un mignon ponceau. Île généreusement pourvue d’arbres, de sous-bois et de clairières, lieu de prédilection pour les pittoresques leçons botaniques du bon père Andlauer qui se reposait ainsi de son cours de chant où nous le chahutions impitoyablement. Île où nous courions voir, certains jours, les dessins fantastiques que traçaient les embâcles touffus, hérissés, multiformes dressés ça et là par les billes en flottage libre ou échappées de leurs trains de bois. Île aux sentiers ombreux menant à ce fameux kiosque où les finissants venaient, un dernier soir,de juin, nous faire leurs discours d’adieu et révéler leur choix de carrière qui, parfois, surprenait quelque peu.
Mes meilleurs moments à Saint-Alexandre, je les dois peut-être à trois choses : l’apprentissage de la parole, la magie du théâtre et, surtout, à l’immense découverte du Petit Larousse. Dictionnaires et encyclopédies me fascinent toujours et cette grande histoire d’amour commença au Collège. C’est d’abord en salle d’études que le Petit Larousse m’envoûta. Aussi fut-il le compagnon obligé de toutes mes lectures (voire lecture en soi !), le précieux arbitre d’innombrables débats parfaitement oiseux, l’étrange démêleur des matières préférées et le remplaçant d’office des matières détestées. Si je vous disais que l’exotisme du mot « hypoténuse » faillit me réconcilier avec les maths. Ce mémorable Petit Larousse conserva toute son emprise même après que ses jolies « pages roses » eurent été amputées de certaines reproductions de statuaire classique, planches jugées scabreuses par un pudique préfet de discipline. Façon comme une autre, je suppose, d’interpréter Molière et son célèbre « Couvrez ce sein que je ne saurais voir ! »
C’est Molière, justement, qui nous fournit en mai 1936 notre pièce de fin d’année, « L’Avare ». Comme toujours, cette production fut mise en scène par le père Daniel Barnabé, directeur attitré de la troupe alexandrine. Fort satisfait de notre prestation, il nous amena répéter « L’Avare » à Saint-Joseph d’Orléans près d’Ottawa sortie exceptionnelle, vous pensez bien, pour les dix pensionnaires que nous étions : Valmore Lafontaine, Hector Laflamme, Bernard Potvin, Eugène Falardeau, Marc (Ovila) Saint-Jean, Clarence Lesieur, Grégoire Farrell, Edmond Dumouchel, Marcel Chartier et moi qui jouais Harpagon. J’avais dix sept ans. Mais déjà à quinze ans je recevais l’honneur d’un autre premier rôle, celui de ce bravache qui adore le vin et la gloire « Fanfan la Tulipe », pièce pleine de soldats et de sauvages (42 acteurs !) jouée le 21 mai 1934 pour la fête de Dollard. Fallait voir la joyeuse stupéfaction de la salle quand, saluant soudain d’un geste large, Fanfan découvrait sa bille tondue ras, effectivement scalpée par les Indiens – illusion rendue possible par ma chevelure masquée sous une vraie vessie de boeuf !
Sur la vingtaine de pièces jouées, deux autres méritent d’être signalées. D’abord le « Thomas Morus » du 25 novembre 1937 où Marcel Chartier (sauf erreur) incarnait si bien Thomas More, l’héroïque chancelier exécuté par Henri VIII. J’y jouais le fidèle intendant de la maison Morus, intendant peu convaincant alors que j’avais été un scélérat en pleine forme dans « Le Nil rouge », super-production de mai 1935. Remarquable reconstitution de l’ancienne Égypte, ce drame poétique fut oeuvre conjointe, L’admirable professeur de rhéto qu’était le père Henri Goré en créa le texte en fort beaux alexandrins, d’après un savant canevas établi par ce fascinant égyptologue que fut le père Louis Taché, titulaire de versification. Mon frère Paul compléta en composant pour « Le Nil rouge » une aimable et habile musique qui sentait presque les pyramides. Une riche distribution de 35 comédiens mettait en vedette notre auguste aîné, Philippe Blanchard, le pharaon dont je devenais le grand-prêtre, l’âme damnée et redoutable magicien qui d’un coup de baguette fit surgir en scène de terrifiants feux de Bengale ! Rôle de plusieurs centaines de vers qui révolta le père Vichard à qui j’avais longuement expliqué que je n’arrivais pas à apprendre son grec parce que je n’avais pas de mémoire… Ne quittons pas les planches alexandrines avant d’y saluer le passage de tant d’autres élèves acteurs, certains aussi doués qu’un Raymond Bériault, d’autres aussi inattendus qu’un Alphonse Soucy ou un Rodrigue Roberge. Et que dire de Philippe Maltais, congénitalement comique !
À Saint-Alexandre, l’enrichissante fête de la parole revêtait moult formes. En premier lieu, nos joyeuses soirées de famille où régnaient chansons drôles et pitreries, saynètes loufoques et poèmes divers ; mes prestations d’Hugo et de Jean Narrache y sont nées. Il y avait aussi le passage de conférenciers de marque tels que l’explosif sénateur Gustave Lacasse, l’éloquent bibliothécaire Félix Desrochers, l’éblouissant sociétaire de la Comédie Française, Henri Rollan, qui semblait savoir par coeur tout Racine et Corneille. Parfois on accueillait solennellement d’éminents personnages comme le romancier John Buchan (notamment « The 39 Steps ») devenu Lord Tweedsmuir, gouverneur-général du Canada. Ou encore le comte Robert de Dampierre, ambassadeur de France, dont la ravissante épouse Léïla était une poétesse yougoslave. À la demande du père supérieur et à l’étonnement ému de l’auteur, je lui dis en scène son beau poème « Séparation » obtenu subrepticement au téléphone par le père Goré qui, à cet effet, avait appelé la secrétaire de la Comtesse – la liant au secret ! N’oublions pas, surtout, les exaltantes séances du cercle littéraire Montmorency-Laval que le père Taché m’avait demandé de faire revivre avec lui, en 1936. Le dimanche après la messe, sous l’oeil stimulant du Père, une vingtaine d’entre nous s’y exerçaient au pur verbe français et aux arguments bien charpentés : improvisations ou textes préparés, esquisses historiques, corrections langagières, frémissants débats contradictoires où, du premier coup, Philippe Blanchard me démolit net…
La musique aussi manifesta sa présence au Collège. En 1932, la schola Saint-Ambroise coexistait avec les Chanteurs du Bon-Temps où se faisaient valoir les folkloristes Tittley, Côté, Legault et Préseault avec mon frère Paul au piano. Suivirent, en 1936, les Ménestrels de Saint-Alexandre dirigés par le puissant ténor spiritain Frédéric Heudes. Et qui peut oublier le violon d’Yvon Moranville et l’orgue du frère Épiphane, coeurs vaillants et doigts trémulants ? Puisque nous voilà à la chapelle, admirons les grandes toiles du sanctuaire ainsi que l’autel central aux superbes pièces sculptées par M. Henri Lefebvre d’Ottawa aidé de cet étonnant personnage que fut l’abbé Joseph Laurent, professeur itinérant et omniscient s’il en fut. Cette belle chapelle où le père Goré amenait ses rhétoriciens le premier vendredi du mois, devant le Saint-Sacrement exposé, et où soudainement le Père improvisait à voix haute les plus belles méditations que j’aie jamais entendues. Chapelle d’où partait, un matin ensoleillé, la grande procession de la Fête-Dieu dominée par notre supérieur à la barbe virile. Avec cortège et sous dais, le père Droesch portait lentement l’ostensoir le long d’un parcours précis où nous avions disposé, après de longs travaux délicats, ces extraordinaires tapis faits de sciures de bois agencées en dessins multiformes et multicolores, grâce à des tamis et gabarits taillés et conservés à cette seule fin. Tapis de sciures colorées, chefs-d’oeuvre éphémères, beautés d’un jour qui pourtant durent toujours… dans ma mémoire !
Voilà que mes réminiscences s’amenuisent et s’émiettent. Si je vous jetais en vrac mes fonds de tiroirs-souvenir ? En supérieur qui se veut infirmier, le père Droesch parcourt militairement les dortoirs où, parfois, il trouve quelques « malades » authentiques… Érables rougis ou conifères chargés de neige, inspiration première de mes premiers vers… Cette troublante cave à vin (maison) que le frère Jean, échanson de service, garde bien cadenassée… Monumentale glissoire démontable où, en luge, nous glissions jusqu’au bout du monde… Douceur de l’increvable frère Leutfried, dit Leufroy, qu’on prétendait « baptisé dans l’eau de Cologne » (où naquit ce bel Allemand)… Forte supérieure surnommée Babe Ruth, soeur Aimée gâtait les convalescents à coup de « Corneflaques » prononcé à la française… Patinoires et ski, tennis et balle-au-mur, anneaux du saut périlleux souvent raté… Entendre le missionnaire Gérard Roy revêtir le banal « Ainsi soit-il » du seul sens qui sied… Fiévreuses séances de cinéma, en salle de récréation, où chaque film révélait invariablement un maximum de grosse action et un minimum de bel amour (ben, voyons donc !)…
Au réfectoire après chaque repas l’original frère Marie-Gilles, « Ti-Potte » pour les intimes, lave ses tonnes de tasses et discute astrologie… Admirer-qu’un père Gauchet soit aussi bon photographe (nos albums regorgent de ses oeuvres) qu’élégant patineur de fantaisie… Le préfet tenu d’initialer tout livre venu de l’extérieur, en guise d’imprimatur… Charme printanier des longues rangées de serres plates et basses, à châssis vitrés, où le frère Théodore dorlotait ses primeurs potagères… La croix du chemin, face au pont Wright… Crucifiantes leçons de choses du père Ratier en Belles-Lettres, étalant au grand jour notre lamentable ignorance du français… La formatrice mais énervante lecture qu’à tour de rôle il nous fallait faire au réfectoire des pères, d’une voix mal assurée et d’une estrade trop élevée – fouilli de textes français et latins où l’hermétisme le disputait à la platitude… Obscénité involontaire des pères (français) nous traitant de « gosses »… Scatologie volontaire du servant de table Eugène Falardeau nous parlant du populaire « chiard »… Le père Peghaire qui, furtivement, demande à mon frère Paul de lui jouer du Debussy… Puissant professeur de philo que ce Peghaire qui tolérait fort bien qu’on soutienne Duns Scot contre Thomas d’Aquin, la primauté de la volonté sur l’intelligence et de la croyance sur le savoir !… Perdurable ravissement d’entendre les pères (français) voussoyer le dernier des morveux – authentique témoignage d’un respect et d’une civilité que le Québec d’aujourd’hui comprend et pratique moins que jamais…
Ferveur sportive du 3 mai, fête patronale de saint Alexandre, et ferveur nationale du 24 mai, fête de Dollard… Le supplice printanier de voir défiler, juste de l’autre côté de la clôture, les belles filles d’la ville en route vers notre cabane à sucre ; leur parler ? mein Gott, verboten !… Grégoire Farrell qui, même couronné du prestigieux Prince-de-Galles, conserve sa fulgurante maîtrise au dactylo… Ce journal personnel que le père Goré exigeait de ses rhétoriciens et où j’osai préférer Rostand à Racine… Les éruptions oratoires d’un Pierre Lauzé, suivies des obscures clartés d’un Eugène Lavoie… Et cet autre Eugène, employé de ferme et maître-cocher du temps des sucres Eugène Lévesque dont la force herculéenne lui permet de soulever et décoincer, à lui tout seul, l’arrière-train de son énorme traîneau à deux chevaux (où l’on chargeait les tonneaux de sève)… Percevoir vaguement l’invraisemblable humilité d’un Léo Leblanc… Rire sous cape de ces conférences d’initiation sexuelle, d’accès très filtré, où chaque moment crucial se dégonflait en inévitable : « Euh, vous savez c’que j’veux dire ? »… Le bel éléphant de neige « sculpté » par l’équipe Alain Brugère/Rodolphe Dumont/Eugène Lavoie… Amorce d’un contact avec le père Eugène Andlauer, être exquis et racé dont l’amitié vieillissante deviendra chose ineffable… Paul-Emile Proulx qui va secrètement enduire de dentifrice les boutons d’interrupteurs au dortoir, pour faire enrager l’exécrable surveillant qui chaque fois s’y beurre en hurlant : « Qui donc a mis de la pâte sur le piton ? »
Endiguons le fleuve des souvenirs et tâchons de conclure, fût-ce de façon trop personnelle. Que tentaient de faire, au juste, les prodigieux profs Taché, Ratier, Goré, Peghaire et compagnie ? À travers toutes nos activités collégiales, Saint-Alexandre cherchait essentiellement à nous enseigner l’art de devenir homme, pleinement homme de coeur, de corps, d’âme et d’esprit – des hommes adultes et donc responsables, soucieux des vraies transcendances : beauté, bonté, sagesse et amour. Avoir soif d’une liberté disciplinée ; que le fameux « Consacrer sa vie à la vérité » ne soit pas simple slogan mais véritable mot d’ordre. Pour y arriver, commencer par se vider de l’absurde prétention de savoir quelque chose. (Car ne rien savoir et le savoir, c’est déjà beaucoup !) Une fois le terrain déblayé, y bâtir patiemment la maison du coeur et de l’esprit – chacun à sa façon – jusqu’à complète maturation de ses virtualités propres. Chemin faisant, accepter le terrible poids de TOUT penser et repenser pour soi, sans jactance mais sans crainte des dits, on-dit et édits d’où qu’ils viennent y compris des « chefs » temporels et spirituels. Revoir sans cesse ses propres « vérités » à la lumière de celles des autres. Bref, acquérir une fois pour toutes ce fameux esprit critique, à la fois courageux et pondéré, que tentaient de nous insuffler la rigueur d’un Peghaire alliée à la finesse d’un Goré.
En général, l’opération ne réussit qu’à force de longs efforts soutenus par une foi passionnée en Dieu et en soi, mais attention ! le meilleur de soi, celui qui se manifeste plus ou moins consciemment par la langue et la culture. Hélas, la plupart d’entre nous ne voient même pas que la langue constitue – et à proprement parler – l’étincelle de divinité qui affleure dans l’homme. Aussi, pour nous au Québec, la langue et la culture françaises sont-elles la principale composante de notre personnalité collective. (À ceux qui regimbent je rappelle qu’être français n’est pas nécessairement d’être Français… ) Par ailleurs, personnalité collective fortement marquée au coin du spirituel – un spirituel qui pourra parfois varier d’espèce, d’allégeance, mais jamais d’intensité. Que là résident le bonheur et l’avenir de l’homme québécois – comme de l’Homme tout court – demeure vrai au point où tout le reste – argent, pouvoir, carrière, succès – sont comme n’étant pas… Ce qui n’exclut en rien (bien au contraire !) un constant émerveillement devant la compagne, les enfants, l’ami fidèle, un bon vin et une belle musique, notre soeur l’eau et notre frère le soleil. Notamment de ce soleil couchant que nous goûtions parfois au Collège quand, rassemblés autour de la Grotte et de son ruisselet, nous entonnions à pleins poumons le chant à la Vierge :
L’ombre s’étend sur la terre,
Vois tes enfants de retour
À tes pieds, auguste Mère,
Pour t’offrir la fin du jour.
O Vierge tutélaire,
O notre unique espoir,
Entends notre prière
La prière et le chant du soir !
Jean-François Pelletier
élève de 1931 à 1939, membre du conventum 1937-1987.
P.S. Mes excuses à ceux que j’aurais blessés en les omettant de ce faux palmarès des « gloires de l’escole ». Mon coeur, lui, se souvient. Puis, se redire le mot mélancolique de Peghaire : la mémoire, c’est la faculté d’oublier…